Recherche sur l’embryon humain
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Eléments scientifiques et juridiques :
La mise en œuvre des techniques de fécondation in vitro conduit à la conception d’embryons humains dont certains ne sont pas implantés dans l’utérus d’une femme en vue d’une naissance ; ils sont alors congelés et stockés : plus de 220 000 en France fin 2015[1]. La question de les utiliser pour la recherche s’est donc posée. Vis-à-vis du couple, les conditions de son nécessaire consentement sont précisées par la loi[2].
Les cellules souches. Depuis 1998, des « cellules souches » (cs) ont été identifiées dans l’embryon humain. À partir des cs embryonnaires, on peut potentiellement produire un nouvel organisme humain (cs dites « totipotentes ») ou tout type de tissu humain (cs dites « pluripotentes »). Les recherches sur ces cs embryonnaires se sont rapidement développées. À ce jour, les résultats escomptés ne sont pas réalisés sauf, de façon partielle, en matière cardiaque et ophtalmologique.
Il existe d’autres « cellules souches » dites adultes, en particulier celles qui viennent du sang de cordon ou du cordon ombilical lui-même[3]. Grâce à ces cs adultes, de nombreux traitements sont possibles (leucémies, brûlures, lésions).
Depuis 2007, des équipes scientifiques ont reprogrammé des cellules adultes en cellules « pluripotentes » : ce sont les « cellules souches pluripotentes induites » (iPS).
La législation française. Elle est allée dans le sens d’une plus large possibilité de recherche. La loi du 29 juillet 1994, ayant inscrit « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » dans le Code civil (art. 16), disposait en conséquence l’interdiction de toute recherche portant atteinte à l’intégrité de l’embryon humain. La loi du 6 août 2004 introduisit des dérogations temporaires à cette interdiction pour les embryons ne faisant plus l’objet d’un « projet parental », en vue de « progrès thérapeutiques majeurs » et « à condition de ne pouvoir être poursuivi par une méthode alternative d’efficacité comparable ». La loi du 7 juillet 2011 a élargi les dérogations en remplaçant la finalité « thérapeutique » par une finalité « médicale », tout en demandant de favoriser des recherches alternatives à celles sur l’embryon[4].
Un renversement fut introduit par la loi du 6 août 2013 : elle a supprimé « l’expression formelle du principe d’interdiction des recherches sur l’embryon[5]», pour le remplacer par un régime d’autorisation sous conditions, ainsi que l’obligation de favoriser des recherches alternatives. Enfin, la loi « de modernisation de notre système de santé » du 26 janvier 2016 autorise, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, les recherches sur les gamètes destinés à constituer un embryon humain ou sur l’embryon humain in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple y consent (art. 155). Elles sont alors conduites conformément aux recherches impliquant la personne humaine : prudence, consentement et gratuité[6].
La « Convention d’Oviedo », ratifiée par la France, stipule : « 1. Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon. 2. La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite. » (art. 18).
Questions anthropologiques et éthiques
Un principe simple guide la réflexion éthique : « La recherche médicale doit s’abstenir d’interventions sur les embryons vivants, à moins qu’il n’y ait certitude morale de ne causer de dommage ni à la vie ni à l’intégrité de l’enfant à naître et de sa mère, et à condition que les parents aient donné pour l’intervention sur l’embryon leur consentement libre et informé[7]. »
Selon le CCNE, il est question de poursuivre les recherches sur les embryons humains et les cellules souches embryonnaires humaines, notamment par le « maintien en culture in vitro d’un embryon préimplantatoire humain[8] ». Or, depuis la fusion des gamètes, l’embryon humain se développe selon un processus graduel, continu et coordonné. Dès le début, il est un « nouvel individu humain » à part entière qui « doit être respecté comme une personne[9]».
Le CCNE a défini l’embryon humain comme « personne humaine potentielle[10] ». L’expression semble indiquer qu’il lui manquerait des éléments pour atteindre la pleine stature de « personne humaine ». Elle peut être plus justement comprise comme reconnaissant une « personne en devenir » : une personne dont les potentialités physiques, intellectuelles, affectives et spirituelles se déploieront si elle est accueillie dans sa grande vulnérabilité et si aucun obstacle n’est mis à son développement.
Si l’embryon humain a besoin d’un « projet parental » pour se développer, ce n’est pas ce projet qui lui accorde un statut personnel : « La réalité de l’être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d’affirmer ni un changement de nature ni une gradation de la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et éthique. L’embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne. » On ne peut donc pas distinguer un statut pré-implantatoire et un statut différent de l’embryon implanté. Il est un « corps embryonnaire[11] ».
La recherche tant sur l’embryon que sur les cellules souches embryonnaires, dans la mesure où elle implique la destruction d’embryons humains, considérés et utilisés alors « comme un simple « matériel biologique »[12] », représentent une grave transgression éthique car elles atteignent un être humain dont l’extrême vulnérabilité tend à masquer sa dignité. L’instrumentalisation d’un être humain ne peut jamais se justifier, même en vue d’une finalité thérapeutique espérée. Et moins encore pour alimenter la recherche fondamentale, par exemple en vue d’améliorer les résultats de l’AMP. Les débats et le droit ont toujours exprimé, avec embarras, le respect dû à l’embryon humain, quitte à organiser des exceptions à ce respect, souvent en vue de pouvoir faire des recherches.
La transgression éthique se justifie d’autant moins que les recherches sur les cellules souches qu’elles soient adultes, issues du cordon, ou pluripotentes induites, ne se heurtent à aucune objection éthique majeure. Il faudrait les encourager plus fortement car elles favorisent la thérapie cellulaire. À condition d’en ouvrir solidairement le bénéfice, en évitant une gestion purement privée des banques de cellules, qui seraient réservées à des patients fortunés ou aux pays mieux lotis[13].
La recherche sur l’embryon humain lui-même est à promouvoir pourvu qu’elle respecte son intégrité et qu’elle ait pour finalité un meilleur diagnostic en vue de le soigner tout en permettant son développement jusqu’à la naissance. L’Église encourage « la science comme un précieux service pour le bien intégral de la vie et pour la dignité de chaque être humain » (Dignitas personae, n° 3).
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[1] Cf. Rapport médical et scientifique de l’Agence de biomédecine 2016. Les recherches sur l’embryon et sur les cellules énumérées dans la fiche sont soumises à un rapport annuel rendu public ; Code de la Santé Publique, art. L. 1418-1-1.
[2] Voir J.-R. Binet, Droit de la bioéthique, LGDJ, 2017, p. 298-299.
[3] La première greffe mondiale de cellules souches issues du sang de cordon a été réalisée en France en 1988 par Éliane Gluckman. Voir CCNE, Avis n. 117 du 23 février 2012.
[4] La loi a prévu une clause de conscience pour les chercheurs ne souhaitant pas travailler sur les embryons humains ni sur leurs cellules souches. Notons que la question du statut juridique de l’embryon humain demeure en suspens : voir Aude Mirkovic, « Statut de l’embryon : la question interdite », La Semaine juridique (JCP), G, 2010.
5 J.-R. Binet, op. cit., p. 293. A été supprimé « le principe explicite d’interdiction qui traduisait […] l’essentiel devoir de respect de l’être humain dès le commencement de la vie », in ibid., p. 54.
[6] Cf. J.-R. Binet, op. cit., p. 278-289.
[7] Congrégation pour la Doctrine de la foi, Instruction Donum Vitae, 22 février 1987, I,4.
[8] Cf. CCNE, Dossier de presse, « Les thèmes des États généraux », fiche n. 2, 18 janvier 2018.
[9] Voir, Donum Vitae, I,1. Selon deux objections, la présence d’un individu humain dans le zygote est niée : les jumeaux monozygotes et les fausses couches naturelles. À ce sujet, voir Pascal Ide, Le zygote est-il une personne humaine ?, Téqui, 2004, ch. 7 ; Vincent Bourget, L’être en gestation, Presses de la Renaissance, 1999.
[10] Avis n. 1 du 22.05.1984. Voir aussi les discussions dans deux Avis : n. 8 du 15.12.1986 et n. 112 du 21.10.2010.
[11] Congrégation pour la Doctrine de la foi, Instruction Dignitas Personae, 8 Septembre 2008, n. 5 et 4. Voir Alain Mattheeuws, « Le « corps embryonnaire ». Une avancée de Dignitas personae », NRT, 134/n. 4, 2012, pp. 606-627.
[12] Ibid., n. 19. Voir Mgr P. d’Ornellas et alii, Bioéthique. Questions pour un discernement, Lethielleux/DDB, 2009, ch. 2.
[13] L’Église « exprime le voeu que les fruits de cette recherche soient rendus disponibles même dans les zones pauvres et dans celles qui sont touchées par la maladie », in Dignitas personae, n. 3.
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