Fiche CEF Utilisation des biotechnologies sur les cellules embryonnaires et germinales humaines

Utilisation des biotechnologies sur les cellules embryonnaires et germinales humaines

Fiche proposée par le groupe de travail « bioéthique », de la CEF 

Les données actuelles aussi bien scientifiques que juridiques

L’OCDE définit les biotechnologies comme « l’appli­cation de la science et de la technologie à des or­ganismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des maté­riaux vivants ou non vivants aux fins de la produc­tion de connaissances, de biens et de services ».

 

Les biotechnologies sont utilisées aujourd’hui pour la production de médicaments par des or­ganismes vivants aux génomes modifiés, donnant des « bio-médicaments » (ex : artémisinine pour lutter contre le paludisme). Elles rendent possible une ingénierie du vivant et tout particulièrement une « ingénierie génomique » grâce à un ensemble de techniques qui permettent :

 

  • De corriger la séquence d’ADN (molécule bio­logique présente dans le noyau de nos cellules et le support de notre identité génétique),
  • De supprimer un ou plusieurs gènes,
  • D’insérer dans un génome un ou des gènes qui peuvent soit venir d’un autre organisme, soit être synthétisés en laboratoire.

 

L’OGM (organisme génétiquement modifié) est le résultat de ces manipulations génomiques. Ainsi par exemple, la « transgénèse » est une tech­nique qui permet d’insérer une séquence d’ADN dans les êtres vivants. La « biologie de synthèse » permet la conception rationnelle de nouveaux sys­tèmes biologiques « artificiels » dont certains sont utilisés pour des diagnostics médicaux sur des pa­tients atteints du VIH. Ces deux techniques enri­chissent la « thérapie génique » qui est l’utilisation des manipulations génétiques de cellules humaines dans le but de traiter une maladie.

Les progrès de la thérapie génique permettent de lutter contre des maladies génétiques grâce au fort potentiel des cellules souches humaines (em­bryonnaires, IPS et adultes…). De plus, grâce aux techniques de séquençage du génome à haut débit, appliquées notamment au « microbiote » intestinal des humains (leur flore intestinale), on pense être capable dans un avenir proche de contribuer au trai­tement de pathologies complexes comme des can­cers et des maladies cardio-vasculaires influencées par l’état génomique du « microbiote ».

Une nouvelle technologie, plus performante que les précédentes en termes de précision, rapidité, fia­bilité et faible coût, est en train de révolutionner la thérapie génique : CRISPR/Cas9, ou « ciseaux à ADN ». Cette technique permet d’enlever, d’ajouter ou de modifier des séquences d’ADN de manière extrême­ment bien ciblée. Il ne s’agit donc plus seulement de fabriquer un médicament, mais d’agir directement sur les cellules humaines. On peut ainsi envisager de remplacer un gène porteur d’une maladie génétique par un gène sain, ou modifier l’expression des gènes et corriger des fonctions altérées. Les possibilités d’application de CRISPR/Cas9 sont multiples, en bio­logie et en médecine. Cette technique s’applique à n’importe quelle espèce, à toute la biodiversité du vi­vant, humain en particulier. (Les premiers essais cli­niques ont eu lieu en 2016 aux USA sur des cellules immunitaires pour lutter contre certains cancers. D’autres essais ont été réalisés en Chine sur des em­bryons humains non viables).

Questions que cela pose :

Le principal enjeu de CRISPR/Cas9 est le suivant : on ne connaît pas encore suffisamment le rôle de tous les gènes ni, de ce fait, les conséquences à long terme de telles modifications sur le génome, chez l’être humain en particulier. De plus, des effets secondaires non sou­haités, dits « hors cible », peuvent se produire.

Lorsqu’on modifie une cellule humaine somatique (du corps humain par opposition aux cellules germi­nales qui donnent les gamètes), les modifications ne concernent que la personne en question. Il faut donc une validation scientifique du projet de modifi­cation, une évaluation du rapport bénéfices/risques (peut-on revenir en arrière en cas d’évaluation néga­tive dans le temps ?), une éthique du respect de l’in­tégrité de la personne, et, bien sûr, le consentement éclairé de la personne concernée.

 

Pour les cellules humaines germinales et pour le zygote, leurs modifications se transmettraient à la descendance. La situation est alors complexe : il y a d’une part une irréversibilité de transmission et, d’autre part, des modifications futures par les facteurs épigénétiques (qui prennent en compte les effets d’interactions entre les gènes et d’autres facteurs de l’environnement comme les conditions de vie). De plus, de graves conséquences peuvent intervenir si, en même temps que la correction gé­nétique cherchée, une erreur est transmise, ce qui est toujours possible avec les méthodes d’édition de gènes. Comment prendre en compte le principe de précaution et le principe de responsabilité, en parti­culier vis-à-vis des générations futures ?

Le Comité international de bioéthique de l’UNESCO rappelle que l’utilisation de CRISPR/Cas9 soulève de grandes inquiétudes en ce qui concerne l’ingénierie du génome humain. Le Comité a demandé un mora­toire « sur les techniques d’édition de l’ADN des cellules reproductrices humaines afin d’éviter une modification contraire à l’éthique des caractères héréditaires des in­dividus, qui pourrait faire resurgir l’eugénisme ». En ef­fet, si la technique est prometteuse, car elle « ouvre des perspectives pour traiter voire guérir certaines ma­ladies de façon simple et efficace » comme la muco­viscidose et certains cancers, elle peut aussi donner par exemple la possibilité de modifier l’ADN humain pour « déterminer la couleur des yeux du bébé [1]».

Sous l’égide du Conseil de l’Europe, la convention d’Oviedo du 4 avril 1997, ratifiée à ce jour par 29 pays dont la France (mais pas le Royaume Uni, ni les USA et la Chine), stipule dans son article 13 qu’une « intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seule­ment si elle n’a pas pour but d’introduire une modifica­tion dans le génome de la descendance ». Elle est à ce jour le seul instrument juridique au niveau interna­tional pour la protection des droits de l’Homme dans le domaine biomédical.

Les visées anthropologiques et éthiques :

Utiliser CRISPR/Cas9 pour tenter une ultime possibi­lité de guérir une maladie grave en agissant sur des cellules somatiques, peut être bénéfique si les condi­tions éthiques et de sureté sont assurées. L’utiliser sur des zygotes et des cellules germinales ou pour « augmenter l’humain » selon ses propres désirs est particulièrement dangereux : jusqu’où l’homme peut-il être le designer de sa propre évolution, au­jourd’hui déjà et pour les générations futures ? La vie se reçoit et se donne, nous n’en sommes pas pro­priétaire. Le génome humain n’appartient pas à la science et aux scientifiques, ni à aucune nation ou organisation internationale. L’homme peut-il ainsi s’approprier le génome humain comme une « chose manipulable à souhait » ? Peut-il s’approprier le vi­vant humain comme une marchandise, le breveter en le faisant entrer dans le système marchand, le re­définir selon ses vues ?

Le Comité d’éthique de l’Inserm, dans une recom­mandation sur les technologies d’édition du gé­nome[2], attire l’attention « sur la question plus philo­sophique qui met en tension la plasticité du vivant avec l’idée d’une nature humaine fondée sur le seul invariant biologique. Il convient de susciter une conscience qui fasse la part de l’utopie et des dystopies que peuvent en­gendrer certaines promesses thérapeutiques ». Cet avis n’est pas sans lien avec la posture anthropologique de « l’humain vulnérable, pierre d’angle de l’éthique[3] », chère à la tradition chrétienne, comme le montre la fiche sur les liens biologie-psychisme dans tout vi­vant.

Un autre aspect requiert notre vigilance : quel re­gard poser sur la personne handicapée à l’heure de CRISPR/Cas9 et des nouvelles thérapies géniques ? La vie ne vaut-elle le coup d’être vécue que lorsqu’on peut réparer, voire augmenter nos fonctionnalités ? Devant l’influence actuelle de certains courants dits transhumanistes, la dignité inaliénable de tout être humain mérite d’être rappelée.

Références bibliographiques pour continuer le travail

  • Edgardo Carossela (sous la dir.), Nature et Artifice. L’homme face à l’évolution de sa propre essence, Her­mann, 2014.
  • Jürgen Habermas, L’Avenir de la nature humaine-Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, 2015.
  • Thierry Magnin, Les nouvelles biotechnologies en ques­tions, Salvator, 2013 ; Penser l’humain au temps de l’homme augmenté, Albin Michel, 2017.

2 février 2018

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[1] Avis d’octobre 2015.

[2] Site web de l’Inserm, 13 juin 2016.

[3] Voir Mgr Pierre d’Ornellas, Au coeur du débat bioéthique, Dignité et vulnérabilité, Documents Épiscopat, n. 6, 2010, p. 11.

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